Le livre du vendredi: Fusées – Mon cœur mis à nu et autres fragments posthumes

fusées cover

de Charles Baudelaire – Édition d’André Guyaux

«Je veux faire sentir sans cesse que je me sens comme étranger au monde et à ses cultes», écrit Baudelaire à sa mère, le 5 juin 1863, dans une lettre où il explique le projet de Mon cœur mis à nu. En effet, le «cœur» qu’il met à nu n’est pas un cœur qui s’épanche en émois ou qui révèle ses secrets. C’est un cœur qui se gonfle de ressentiments. Seules quelques notes ont été conservées de ce livre «rêvé». On y trouve la trace d’une pensée provocatrice et paradoxale, dans une forme concentrée. Ces fragments n’en sont pas moins, comme l’écrivait leur premier éditeur, Eugène Crépet, en 1887, «le résumé de la vie intellectuelle et morale du poète». S’ouvre avec eux une seconde vie de l’œuvre de Baudelaire, plus fantasmée qu’accomplie, traversant ces années au cours desquelles le poète se recrée dans ce qui le détruit.

Livraddict

Pour commencer, je souhaite remercier Livraddict et les éditions Folio d’avoir permis ce partenariat ! Merci pour cette belle lecture !

Je connaissais Baudelaire, le poète. J’ai rencontré Les Fleurs du Mal au lycée et, dès lors, elles ont fait partie de moi. J’ai été bouleversée de comprendre et de ressentir aussi profondément des idées mises en mots par un homme né plus de 150 avant moi. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris ce qu’était la Littérature en tant qu’art.

tristesse de la lune

Aujourd’hui, grâce à la lecture de Fusées – Mon cœur mis à nu… je connais l’homme, l’artiste père des vers que je chérie tant. C’était un être torturé, ça je m’en doutais, mais c’était aussi un homme perdu, un homme de génie, un homme malade et hypocrite. Un esprit d’une complexité infini auquel on a essayé de donné un sens à travers l’assemblage de ses notes éditées après sa mort. Ces fragments traduisent ses obsessions, ses faiblesses, ses convictions et révèlent les petits mensonges qu’il distribuait dans le monde littéraire (à Victor Hugo, notamment). Rancunier, il essayait de faire de l’incompréhension et des mauvaises critiques qu’ont suscitées Les Fleurs du Mal une force sans y arriver vraiment. Rongé par les dettes et de mauvaises habitudes de vie, Baudelaire confinait dans ses notes ses « bonnes résolutions », le désir d’une routine plus saine. Mais cette bonne volonté s’est heurtée aux ressentiments qu’il nourrissait contre le monde entier, à la dépression et à la maladie physique.

[…] ; il lui reste « un vague désir de célébrité, de vengeance et de fortune».

Je voudrais mettre la race humaine toute entière contre moi. Je vois la une jouissance qui me consolerait de tout.

On comprend les contradictions qui sévissaient chez cet homme: une envie de reconnaissance de la part de ses contemporains et le malheur d’avoir des idéaux philosophiques et religieux en total opposition à ceux de la société de son temps qui ne jurait que par le progrès. Un progrès aveugle, selon Baudelaire, qu’il détestait:

 Je laisse de côté la question de savoir si, en délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa propre torture ; […] il ne ressemblerait pas à un scorpion qui se perce lui-même avec sa terrible queue, cet éternel desideratum qui fait son éternel désespoir ?

Heureusement que le poète n’a pas vécu assez longtemps pour connaître l’obsolescence programmée et l’apparition des Iphones !

Avec cette lecture, j’ai réalisé que je n’aurais certainement pas apprécié Baudelaire si je l’avais rencontré. Mais j’ai la maturité nécessaire aujourd’hui pour dissocier l’homme du texte et j’aime toujours autant ses poèmes!

fusées postits

En ce qui concerne le livre en lui-même, c’est un livre d’étude et a étudier. Il faut déjà être familier de l’œuvre du poète avant de plonger dans les méandres rapiécé de son esprit malade. Pour moi ce fut très agréable et instructif mais je peux comprendre que d’autres ne tentent pas le voyage. Pourtant, André Guyaux nous facilite grandement la tâche en nous fournissant non seulement les fragments tels que l’éditeur de Baudelaire les avait arrangés mais aussi un dossier regroupant une chronologie (vie de l’artiste et événements qui ont pu avoir une influence sur lui), une notice sur l’agencement des fragments, une bibliographie et des index (termes et auteurs ce qui prouve bien la vocation studieuse de ce livre) et des notes très fournies qui accompagnent la lecture. Certes cela la rend assez sportive pour les doigts. Mais les nombreux allers-retours entre les différents outils m’ont donné l’impression d’être une archéologue exhumant le véritable visage de Baudelaire et, personnellement, j’ai trouvé cela délicieux !

fusées en lecture flechée

La préface est aussi une belle introduction, fluide et précise. Elle pose les bases nécessaires pour la suite, remet l’oeuvre et l’auteur dans son contexte, établi les principes qui ont guidé cette réédition, les thèmes abordés par le poète qui peuvent sembler un peu flous sinon et donne très envie de pénétrer plus avant le cerveau du poète.

Je conseille cet ouvrage à tous ceux qui souhaite en savoir plus sur Baudelaire. Et surtout, que les 480 pages ne vous effraient pas, elles se laissent lire sans problème!

Marion

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